Le Pacte vert pour l’Europe, initié en 2019 par la Commission présidée par Ursula von der Leye, est une feuille de route qui vise à rendre durable l’économie de l’Union européenne. Ce Pacte va produire des règlements et directives qui s’appliqueront dans les Etats membres après adoption par les parlements nationaux. En quoi consiste-t-il ? Pour le savoir, nous avons posé quelques questions à Pierre-Jean Coulon, membre du bureau directeur du Comité économique et social européen, où il représente la CFTC.
Pourquoi parle-t-on autant de l’énergie aujourd’hui ? Est-ce si important dans nos vies ?
Je vais être un peu radical dans mon propos. Sans énergie, pas de vie. Sans énergie, pas d’éducation. Sans énergie, pas de logement. Sans énergie, pas d’activité économique. Sans énergie, pas de santé. Personne ne peut vivre sans énergie. Toutes nos activités socio-économiques dépendent, à différents degrés, d’un apport en énergie. Se chauffer, s’éclairer, allumer un ordinateur, se transporter : tout cela implique l’énergie. Dès que nous parlons d’économie, de social, de bien-être, nous ne pouvons pas éluder la question de l’énergie. L’énergie est le point de départ et le point d’arrivée de toute activité humaine.
Quel est le problème qui se pose aujourd’hui collectivement à nous ?
Le problème est double. Premièrement, nous, Français, Européens, dépendons d’importations d’énergie pour maintenir notre niveau d’activité. Un citoyen européen, pour mener à bien ses activités usuelles, dépend, à hauteur de 60%, d’énergies importées. Quand il monte dans sa voiture et la démarre, sa dépendance grimpe à 90 %. Cette dépendance énergétique pose un risque géopolitique majeur : nos fournisseurs d’énergie, situés hors de l’Europe, ont les moyens, s’ils le souhaitent, de couper nos apports et d’ainsi mettre totalement, ou presque, nos économies à l’arrêt. Cette situation constitue, par ailleurs, un poste budgétaire des plus conséquents : cela représente des milliers de milliards d’euros, chaque année, à l’échelle européenne.
Deuxièmement, cette énergie, en plus d’être importée, est majoritairement “fossile” c’est-à-dire qu’elle provient de réserves qui ne se renouvellent pas (pétrole, gaz) et dont la consommation dégage des gaz à effet de serre. De ceux qui causent le dérèglement climatique. Pour des raisons qui sont à la fois géopolitiques, économiques, financières, sociales et environnementales, il est donc indispensable que nous amenuisions – pour éventuellement, un jour, la faire disparaître, notre dépendance aux importations, le tout en limitant la part d’énergie “fossile” dans notre mix énergétique.
Qu’est-ce qui est fait pour remédier à cette situation ?
Jusqu’à l’Accord de Paris sur le climat, signé en 2015, les initiatives ont été assez peu coordonnées, pour ne pas dire anarchiques. Aujourd’hui la coordination est meilleure, dans le monde en général, et en particulier entre les Etats membres de l’Union européenne. Il faut toutefois bien comprendre que les politiques énergétiques relèvent de la subsidiarité, c’est-à-dire que chaque pays demeure souverain en la matière. Chacun des 27 pays de l’Union européenne définit sa politique énergétique individuellement, comme il l’entend. Mais l’on observe une authentique volonté de travail en commun, ne serait-ce que par intérêt bien compris, les choix énergétiques d’un pays restant rarement sans conséquences sur ceux des pays voisins. Disons qu’aujourd’hui, les pays procèdent à leurs choix énergétiques séparément, mais discutent ensemble des conséquences de ces choix.
Ce compromis va-t-il être amené à évoluer ?
En 2019, à la suite des élections européennes, un nouveau Parlement et une nouvelle Commission se sont installés, respectivement à Strasbourg et Bruxelles. La Commission formule des propositions en matière législative, dirige les politiques européennes et met en œuvre le financement de ces dernières. Le Parlement, lui, légifère et contrôle la Commission. Dans cette nouvelle mandature, tout, ou presque, tourne autour du Pacte vert pour l’Europe, qui s’annonce comme un pilier incontournable. De l’avis des experts, deux axes guideront en effet la Commission présidée par Ursula von Der Leyen : l’indépendance énergétique et l’indépendance numérique. Deux axes qui, par ailleurs, se recoupent en partie dans la mesure où la maîtrise des dépenses énergétiques passe aussi par l’utilisation des nouvelles techniques d’analyse des données. Les bâtiments, les véhicules, sont connectés, d’une manière ou d’une autre.
Pouvez-vous nous présenter ce Pacte vert pour l’Europe ?
Il s’agit d’un train de mesures extrêmement important, qui va produire entre 60 et 80 règlements et directives, les “lois européennes”. Il a été édicté par la nouvelle Commission en 2019. Ce Pacte est bien accepté par tous les Etats membres. Tous s’accordent à dire qu’il doit être une réussite, même si, évidemment, l’interprétation et les attentes ne sont pas les mêmes au Danemark, où 80 % de l’énergie est déjà renouvelable, en Pologne, où le charbon pèse encore pour plus de 50% du mix énergétique, ou en France, où l’énergie nucléaire joue un rôle important.
Le Pacte vert se propose trois missions : créer de l’activité supplémentaire en Europe (donc créer des emplois), favoriser l’innovation et les solutions européennes (pour, par exemple, ne plus importer d’Asie 85% des panneaux solaires installés en Europe, ou encore pour produire nos propres batteries), réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Est-ce que vous contribuez à la définition et à la mise en œuvre de ce Pacte ?
Dans le cadre de mes activités au CES européen, je serai en effet le rapporteur de plusieurs avis dont un important concernant ce que nous appelons “une vague de rénovation pour l’Europe”. Pour ce faire, j’anime un groupe de travail comptant une douzaine de membres du comité économique et social. Pour vous donner une idée, le sous-titre de cet avis sera : “verdir nos bâtiments, créer des emplois, améliorer la qualité de la vie”. En quoi cela consiste-t-il ? Dans l’Union européenne, 40 % de l’énergie consommée est dédiée aux bâtiments, sous la forme de chauffage et d’éclairage notamment. Cela représente 36 à 37 % de nos émissions de gaz à effet de serre. 85 à 90 % des bâtiments ont plus de 20 ans. Une bonne partie d’entre eux, vétustes, sont ce que l’on appelle des passoires énergétiques. Si nous prenons à bras-le-corps la rénovation de ces bâtiments, nous pourrions tout à la fois réduire les émissions de gaz à effets de serre et la consommation d’énergie, stimuler la reprise et donner de l’activité aux petites et moyennes entreprises. Cette initiative pourrait contribuer à la création de 150 000 à 200 000 emplois. Elle permettrait également de faire reculer la précarité énergétique, donc d’améliorer la qualité de la vie.
La sobriété énergétique est-elle un paramètre du pacte vert ?
Tout dépend de ce que l’on entend par sobriété. L’énergie la moins chère c’est l’énergie que l’on ne consomme pas, cela est certain. Mais est-il question de réduire nos possibilités, nos moyens, la qualité de la vie ? Non. Reprenons l’exemple de la rénovation des bâtiments. La “vague de rénovation” devrait durer au moins jusqu’en 2030. On parle de 45 millions de logements. Si l’on y améliore le renouvellement de l’air, si l’on y installe du double vitrage, si l’on opte pour des chaudières au rendement meilleur, cela va assurément produire de la sobriété énergétique, mais certainement pas un amoindrissement de la qualité de vie, au contraire !
En mettant les moyens dans la recherche, l’innovation, la mise en œuvre de solutions durables, il n’y a pas besoin de dégrader la qualité de vie des citoyens. Je pense même que cela peut conduire à l’améliorer !
La recherche et le développement de nouvelles sources d’énergie peuvent-elles également jouer un rôle pour limiter notre dépendance et les émissions de gaz à effets de serre ?
Tout à fait, bien sûr. ll se trouve que j’ai été rédacteur d’un avis, voté tout récemment, en décembre 2020, sur la filière hydrogène, qui fait beaucoup parler d’elle. Aujourd’hui, dans le monde, le pétrole et le charbon demeurent les principales sources d’énergie, ils représentent 60 % de l’énergie primaire consommée. Toutes les autres sources, le nucléaire, l’hydroélectricité, la biomasse, le solaire, l’éolien, comptent pour 40 %. À l’échelle européenne, c’est un peu mieux, le ratio est inversé (40 % pour le pétrole et le charbon). Le solaire et l’éolien y ont dépassé, l’année dernière, les 20 %, ce qui est assez significatif.
Il faut savoir que l’hydrogène est utilisé comme énergie depuis plus de 100 ans : le premier véhicule automobile roulait à l’hydrogène ! Mais son utilisation demeure marginale aujourd’hui. l’entrée de l’hydrogène dans le mix énergétique devrait être significative autour de 2035, et sa part pourrait devenir très conséquente vers 2050. Mais l’on ne parle pas d’un remplacement de toutes les énergies par l’hydrogène ! Ce dernier devrait vraisemblablement plutôt se substituer au gaz, qui à l’heure actuelle nous provient à 40% de Russie et à 18% de Norvège. Pourquoi ? Car économiquement c’est intéressant d’utiliser le réseau de gazoducs pour transporter l’hydrogène. De nombreux paramètres entrent ainsi en ligne de compte pour intégrer de nouvelles sources d’énergie, et ça prend du temps. Entre le moment où l’on décide qu’une quantité donnée de kilowattheures sera produite sous telle ou telle forme (charbon, hydrogène, ce que vous voulez), et le moment où le premier kilowattheure est produit, il s’écoule entre 8 et 14 ans.
Au-delà de la question du mix énergétique, on peut aussi imaginer des modalités nouvelles d’exploitation. L’avenir du nucléaire, par exemple, pourrait se traduire par le développement de petits réacteurs modulaires, moins chers et plus faciles à construire, plutôt que par des grandes centrales. Tous les pays ne pourront pas se permettre d’investir des milliers de milliards dans une centrale dernier cri !
Ces reconfigurations n’impliquent-elles pas des mutations des emplois afférents ?
Sur la longue durée, les sources d’énergie, ou leurs modes d’exploitation, vont et viennent, se substituant les unes aux autres. Ceci implique, effectivement, une mutation des emplois. Les travailleurs des secteurs dont la disparition ou diminution est programmée doivent pouvoir trouver les moyens de se former ou de se reconvertir. Il s’agit dès lors d’anticiper une transition énergétique qui soit juste socialement.
Ce volet social, dans le cadre du Pacte vert, est porté par le Commissaire aux affaires sociales, Nicolas Schmitt (la Commission compte 27 commissaires, chacun se dévouant à son “portefeuille”, à la manière d’une ministre). En tant que commissaire, il participe à la définition des stratégies législatives autour du pacte vert. Une vision sociale des enjeux y est donc représentée. Et puis, les représentants de la société civile sont consultés, au travers du comité économique et social européen !
Il faut bien comprendre que les politiques de formation professionnelle relèvent, comme les politiques énergétiques, de la subsidiarité. Mais rien n’empêchera les Etats d’allouer une part des fonds du Pacte vert à la formation, ni les partenaires sociaux nationaux de se saisir de la question.
Qu’est ce que le CES européen ?
Le Comité économique et social européen est avec la Commission la plus ancienne institution de l’Union européenne. Il a été créé en 1958. Le Parlement, lui, existe depuis 1979 .
Dans l’Union européenne, l’initiative législative peut émaner de deux organes : la Commission européenne et le Parlement européen. Au cours des dix dernières années, c’est surtout la Commission qui a saisi cette initiative. Mais en droit, le Parlement le peut tout autant.
Le CES, lui, est l’organe consultatif de la société civile organisée à l’échelle européenne. Il bénéficie d’un droit de regard sur la totalité des textes législatifs européens et rend entre 200 et 250 avis chaque année. Ces textes, qui sont des directives et des règlements, s’appliquent ensuite, après adoption par les parlements nationaux, aux citoyens de chaque Etat membre.
Y siègent des représentants des mouvements syndicaux et patronaux, mais également des professions libérales, du monde environnemental, de la mutualité, de la jeunesse, des associations de consommateurs, etc.
Pour rendre un avis, un groupe de travail est créé, animé par un rapporteur. Celui-ci va étudier les propositions mais également consulter les différentes parties prenantes impactées, ou susceptibles d’être intéressées par le projet. Dans le cas de la vague de rénovation, par exemple, ce sera l’union sociale de l’habitat, la fédération européenne des travailleurs du bâtiment , le bureau européen des unions de consommateurs, la fédération européenne des entreprises du bâtiment et des travaux publics, etc. Des échanges fréquents ont par ailleurs lieu avec les parlementaires européens et les services de la Commission.
L’avis, rédigé et présenté par le rapporteur est adressé, après débats et adoption par le CES, aux institutions, et plus particulièrement à la Commission et au Parlement, qui sont (légalement) tenus de consulter ainsi l’avis formalisé de la société civile. L’avis est également rendu public.
Pierre-Jean Coulon milite à la CFTC depuis plus de 40 ans, où il a occupé les fonctions de président de fédération (énergie), de secrétaire général puis président d’UD (Isère), de conseiller du président confédéral Jacques Voisin et de secrétaire confédéral “Europe-International”.
Bénéficiant par ailleurs d’une expertise significative, en raison de ses activités professionnelle (cadre international dans l’industrie de l’énergie) et associative (ancien président de l’ONG Droit à l’énergie SOS Futur), il représente la CFTC au Comité économique et social européen, le CESE de l’Union européenne. Aujourd’hui membre de son bureau directeur, il a également été, 5 années durant, président de la plus importante section, la section “Transports, énergie, infrastructures, société de l’information” (https://www.eesc.europa.eu/fr/sections-other-bodies/sections-commission/transport-energy-infrastructure-and-information-society-ten)